Félix Rey, en tant que jeune interne à l'Hôpital d'Arles, fut le seul médecin à avoir réellement examiné Van Gogh durant sa maladie. Il fit alors " le premier et de façon parfaite le diagnostic de la maladie de Van Gogh" selon les termes de H. GASTAUT qui saluait aussi la " finesse d'un tel diagnostic "
" une sorte d'épilepsie caractérisée par des hallucinations et des épisodes d'agitation confusionnelle dont les crises étaient favorisées par les excès alcooliques. "
Nous connaissons Félix Rey surtout à travers les articles des docteurs Victor DOITEAU et Edgar LEROY, consacrés à la maladie de Vincent Van Gogh. Les deux auteurs avaient pu rencontrer le Dr. Rey avant sa mort et recueillir son témoignage, ses souvenirs sur sa relation avec le peintre. A sa mémoire ils dédièrent un article (Van Gogh et le portrait du Dr. Rey, Aesculape févr. mars 1939) relatant l'histoire de son portrait peint par Van Gogh et une brève biographie de " ce noble praticien provençal " .
Arlésien de naissance, Félix Rey suivit ses études de médecine à la Faculté de Montpellier. A dix neuf ans, en 1886 il était interne à l'Hôpital d'Avignon. De retour en Arles, il avait vingt et un ans lorsqu'il reçut, un jour de garde, à l'Hôtel Dieu, le peintre hollandais en pleine crise d'agitation.
Le Dr Rey en 1888
Il venait alors de recevoir une médaille d'argent du Ministère de l'Intérieur pour son dévouement au cours d'une épidémie de choléra qui avait frappé la région en 1888.
Rey passa sa thèse, intitulée " De l'antisepsie des voies urinaires " le 26 juin 1890, à Montpellier après quoi il s'embarqua comme médecin sanitaire de 1890 à 1894 avant de finalement s'installer en Arles et d'y acquérir une grande notoriété. A sa mort, le 15 septembre 1932 il était devenu le " digne Doyen du Corps Médical d'Arles " .
Les qualités humaines de ce "médecin de province" ont été chaleureusement saluées par DOITEAU et LEROY.
H. GASTAUT lui aussi parlant des " qualités de coeur du vrai médecin " vit là une des conditions premières qui permirent au médecin, " intime " de son patient, de le bien connaître et traiter.
La correspondance de Vincent témoigne de cette intimité du peintre et du jeune médecin.
Dès le 7 janvier 1889 Van Gogh veut témoigner de sa gratitude envers Rey et en parle à son frère : " Maintenant je compte faire le portrait de M. Rey et possiblement d'autres portraits dès que je serai un peu réhabitué à la peinture " [lettre 568 F].
C'est que Rey, bien que ne comprenant rien à la peinture, selon ses propres propos recueillis par DOITEAU et LEROY, s'est intéressé à ce patient au point de lui rendre visite à son atelier en compagnie de deux autres médecins, et finalement de poser pour lui. Vincent n'était pas dupe, et sans doute se rendait-il compte que ce n'était pas sa peinture que Rey aimait.
" M. Rey aima Vincent non pour sa peinture mais pour ses malheurs, sa belle intelligence, sa merveilleuse bonté, en un mot pour lui même " [DOITEAU et LEROY, Aesculape 1939].
Aussi comprenait-il ce nouvel ami et cherchait-il à lui faire preuve de sa reconnaissance, à lui rendre service.
" Si jamais tu veux rendre l'interne Rey très heureux voici ce qui lui ferait bien plaisir, il a entendu parler d'un tableau de REMBRANDT, " la leçon d'anatomie " . Je lui ai dit que nous lui en procurerions la gravure pour son cabinet de travail "[569 F].
REY devant se rendre à Paris, Van Gogh demanda aussi à Théo de l'introduire chez l'une de leurs connaissances.
REY ne se contentait pas d'informer Vincent et son frère Théo du problème médical qui les concernait.
" Ce matin j'ai été encore me faire panser à l'hospice et me suis promené pendant une heure et demi avec l'interne, et nous avons causé un peu de tout, même d'histoire naturelle. "[ 570 F].
Et de bien d'autres choses encore...
" D'ailleurs Rey et moi en avons déjà blagué quelquefois, car il dit que l'amour est aussi un microbe, ce qui ne m'étonnerait pas beaucoup et ne pourrait gêner personne, il me semblerait. " [587 F].
" Par exemple sais tu déjà que l'amour n'existe peut-être pas précisément comme on se l'imagine; l'interne ici, le plus brave homme qu'il soit possible d'imaginer, le plus dévoué, le plus vaillant, un coeur chaud et mâle, s'amuse quelquefois à mystifier les bonnes femmes en leur racontant que l'amour est aussi un microbe. Quoiqu'alors les bonnes femmes et même quelques hommes jettent alors de hauts cris, cela lui en est bien égal et il est imperturbable sur ce point. " [lettre à Wilhelmine, avril 1889 - W 11 F].
Mais Van Gogh admirait aussi le médecin :
" Sache que Rey est surchargé de travail, surchargé... " [... ] " Rey est un bien brave homme, terriblement travailleur, toujours à la besogne.
Quelles gens les médecins d'à présent ! "[ 585 F]
" Il est très utile ici, et on aura bigrement besoin de médecins ici à Arles encore dans la suite, tant que le choléra et la peste etc. demeurent si menaçants du côté de Marseille. Or Rey est né ici, et ne vaudrait rien à Paris ou ailleurs, tandis qu'une fois muni du plein pouvoir médical de Paris, en temps de calamité il fera ici de vrais miracles " [570 F. 9.01.1889].
Cet attachement réciproque des deux hommes, la confiance accordée par Vincent à Félix Rey dût bien en effet aider le médecin à mieux connaître son patient. Mais il existait une autre condition favorable pour que Rey fasse son brillant diagnostic. C'est HENRI GASTAUT qui, à l'issue de recherches personnelles, a pu nous en livrer l'explication :
" C'est en consultant le Dr. LEROY, qui vit toujours à Saint-Paul-de-Mausole parmi les souvenirs de Van Gogh, le Dr. Jean Rey, frère cadet de Félix, et les archives de la Faculté de Médecine de Montpellier, aimablement mises à notre disposition, que nous avons découvert cette donnée capitale :
le jeune AUSSOLEIL, camarade d'études de Félix Rey, était interne à l'hôpital psychiatrique de Montdevergues lorsque ce dernier résidait à l'Hôpital d'Arles à moins de 40 km de distance. Tous deux poursuivaient de front leurs études à la Faculté de Médecine de Montpellier et soutinrent leur thèse la même année 1890, à quatre mois d'intervalle. Il est donc difficile d'admettre que Félix Rey ait ignoré le sujet traité par son condisciple, qui rapportait justement sept observations d'épilepsie larvée comparable à celle de Van Gogh et qui terminait son travail par des conclusions laconiques :
1. L'épilepsie larvée existe, et si nous n'en donnons que quelques exemples, la science abonde en faits de ce genre.
2. Elle prend la forme d'accès de fureur ou d'agitation... opinion depuis longtemps émise par BILLOD, MOREL, LEGRAND DU SAULLE.
3. Elle a une symptomatologie particulière qui permet de la distinguer des autres affections mentales.
Il est intéressant de noter que ces données constituaient des truismes pour AUSSOLEIL et qu'il les tenait du professeur MAIRET, titulaire de la chaire de clinique des maladies mentales et nerveuses, maître de Félix Rey, lui même intéressé par les problèmes de l'épilepsie larvée, dont il envisagea les manifestations procursives dans la Revue de Médecine en 1889.
Cet article de Mairet est donc paru quelques mois après la rencontre de Félix et de Vincent, à quoi il faut ajouter que quelques mois auparavant (août 1888), l'interne avait pu lire dans le Montpellier médical une revue générale de MARANDON DE MONTYEL, consacrée au sujet de l'épilepsie larvée.
Tout ceci nous conduit à admettre, contrairement à l'opinion de certains de nos collègues hollandais que Félix Rey était particulièrement préparé à faire le diagnostic de l'épilepsie dont souffrait Vincent " .
De plus, comme le précisait H. GASTAUT et comme nous l'avons montré plus haut
" c'est à cause des discussions célèbres soulevées par les travaux de ces derniers auteurs [MOREL et FALRET] que la notion des équivalents psychiques de l'épilepsie était à l'honneur chez nous au moment où Vincent souffrait de son mal..." (GASTAUT 1956)
... Et il était peu probable que Rey n'en sût rien.
Pour notre part nous avons retrouvé trace des travaux d'AUSSOLEIL dans l'ouvrage de ARDIN DELTEIL qui cite plusieurs de ses observations faites à Montdevergues, de cas d'épilepsie larvée avec apparition secondaire de crises convulsives.